Management dans les industries créatives : pas si collaboratif que ça !


couverture

La créativité est une des soft skills très prisées aujourd’hui, puisqu’ il s’agit d’un des principaux moteurs d’innovation dans nos sociétés post-industrielles où l’avantage comparatif vient des compétences et des idées. Le livre Manager la créativité, ne traite pas vraiment d’innovation industrielle, mais se penche sur la gestion de la créativité dans les industries créatives (cinéma, édition, gastronomie etc.). Cet ouvrage nous donne un observe de manière rigoureuse la manière dont les entreprises gèrent la créativité, et contourne donc l’effet de halo dans lequel on a tendance à tomber quand on parle de grands noms comme Pixar, Hermès ou les Ateliers Jean Nouvel…

L’auteur, qui enseigne le management de la créativité dans des grandes écoles françaises, identifie trois dimensions dans la gestion de la création : le processus de création, les créateurs et l’organisation dans laquelle ils évoluent. Différentes entreprises gèrent chaque dimension différemment, mais nous n’allons pas aborder le sujet comme ça. C’est beaucoup plus intéressant de se pencher sur une entreprise, passionnante : le sellier Hermès. La marque, vieille de 170 ans, a su innover en s’exprimant sur un nouveau territoire. Les deux projets ci-dessous ont permis de lancer une nouvelle entité chez Hermès (Intérieur et Design).

voiture-helicoptere-hermes

En 2007 et en 2008, Hermès révèle deux travaux de style qui font sensation : un Eurocopter puis, l’année suivante, une Bugatti, retravaillés par le sellier français. A côté des objectifs d’image et de notoriété, ces projets ont aussi pour vocation de faire travailler les designers sur des projets différents et de leur permettre d’exprimer leur créativité sur des produits sur lesquels ils n’ont jamais travaillé. “Gabriele Pezzini, designer pour Hermès sur le projet Eurocopter, avait accepté d’y travailler à condition de ‘faire une oeuvre de design’ [et] exigeait d’avoir carte blanche pour repenser l’objet dans sa totalité“, écrit Thomas Paris. Ce passage révèle ce qui semble être une spécificité du sellier français : le désir de contrôle la quasi-totalité du processus de création !

C’est aussi le cas pour le métier de parfumeur, pour lequel Jean-Claude Ellena est pratiquement le seul maître du processus de création. Dans la partie “Ecouter le client… mais pas trop”, l’auteur du livre  cite le parfumeur d’Hermès: “En entrant chez Hermès, j’ai refusé tout test de marché sur mes créations […] mon refus des tests de marché est presque dogmatique“, affirme-t-il avec force, “ce qui en ressortait sentait tout et rien, sentait ‘bon’ mais n’était pas ‘beau’

photo-ellena-hermesSi j’étais parti d’un carré, les tests aboutissaient à un rond (J-C Ellena, parfumeur exclusif de la maison Hermès depuis 2004)

Comme quoi le vent de collaboration et de participation qui souffle sur l’océan du marketing n’a pas toujours du sens, et il n’est surtout pas adapté à tous les secteurs. D’ailleurs, le livre n’aborde quasiment pas les notions de co-création et de crowdsourcing, tant discuttés en ce moment. A peine l’auteur aborde-t-il en conclusion l’open innovation comme une manière d’accéder à l’abondance des idées. Il rappelle pourtant que “la conception des innovations suppose une prise de risque et la responsabilisation d’un nombre limité de personnes qui défendront une vision du début du processus jusqu’à la fin“. Les nombreux cas abordés dans le livre (Nintendo, la troupe du Splendid, Radio Nova, Renault etc.) montrent qu’il n’y a même pas de point commun entre industries créatives… c’est justement cette absence de recette miracle qui est commun à toutes ces entreprises.

Ce n’est pas en travaillant sur la race des pigeons voyageurs qu’on a inventé la télégraphe (Carlos Ghosn, PDG de Renault)

Le patron de l’horloger suisse Hublot a abordé le sujet à la conférence Lift, récemment à Genève. Sa société encourage l’échec intrapreunarial en accordant un bonus à ceux qui prennent des risques et se plantent. “Nous avons besoin de la créativité, dans notre sang, dans notre cœur, dans notre corps. Nous ne travaillons plus, nous jouons. Comme les enfants quand ils jouent, ne pensant pas qu’ils sont en train de travailler” affirme-t-il. Ainsi, comme le cite InternetActu.net, il poursuit sur le fait que “nous devons nous débarrasser de la nécessité d’une montre. Nous devons changer l’utilisation de la montre pour en faire un outil de communication, un rêve, une innovation, un produit relationnel et irrationnel “. Cette affirmation va plus loin que l’extension d’activité dont nous parlons ci-dessus pour Hermès, et il faut certainement avoir les reins solides pour définir son métier uniquement comme un fabricant de communication, de rêve, d’innovation… mais c’est audacieux. Je suis d’ailleurs étonné du ton critique de l’article d’InternetActu, un site pourtant si ouvert vis-à-vis de l’innovation et la créativité.

light-bulb-upside-down

Image via Care2.com

Par contre, une étude récente de Harvard Business School sur les créatifs démontre un côté complètement différent de ce qui est abordé dans le livre : les créatifs sont malhonnêtes et “moralement flexibles”. CQFD 😀

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