Les créations de l’IA méritent-elles une protection par droit d’auteur ?


Hier soir, j’ai eu le plaisir de participer à la première de Bistro Tech, un nouveau talk show francophone sur la tech européenne, animé par Terry Michel. Nous nous sommes retrouvés aux portes de Station F pour un premier live diffusé sur Linkedin tous les mardis soir à 18h30.

J’ai eu l’honneur d’ouvrir le débat en abordant le sujet des droits d’auteur dans le nouveau monde de l’IA générative, Hélène Lucien a parlé d’ordinateurs quantiques, et Nicolas Adam a abordé les outils d’IA dans le développement web. Je vous mets ma tribune complète ci-dessous :

J’ai toujours été passionné de créativité. Ma mère est artiste, j’ai toujours rêvé d’être un designer automobile (refoulé, au bénéfice du pragmatisme du commerce), j’ai adjoint à mon premier job en agence une thèse en marketing à la Sorbonne (sur… la créativité), et mes moments préférés dans mes journées de marketeur sont les moments où je vois des idées fuser, des contenus se former, des livrables aboutir, des campagnes voir le jour, des marques créer des émotions, des consommateurs être ciblés, touchés, convaincus.

J’admire les créatifs autant que les prix Nobel. J’ai toujours été fasciné par l’intelligence et leur capacité à créer de la beauté, de l’émotion. Dans les affaires aussi, évidemment. Le design, la photographie, le marketing sont des merveilleuse alliances de cerveau droit et de cerveau gauche, c’est pour ça que j’y m’y plais encore 15 ans après avoir débuté dans le métier.

Dans ce premier Bistro Tech, je voudrais vous parler de la créativité à l’ère de l’IA.

Quand on regarde notre feed Linkedin, nos reels Insta, j’ai parfois envie de vomir. Les images et les vidéos générées par l’IA sont une nouvelle plaie, c’est pire que la stock photography des années 2000. Vous savez, ces mauvaises photos de réunion d’une équipe faussement cosmopolite, ce doigt qui touche un faux interface digital, cette même mannequin asiatique qui promeut des produits dans le monde entier ; tour à tour en mangeant de la salade, prenant une douche, voyageant à Paris ou se trimballant sur une plage paradisiaque avec son fiancé blanc. Toujours la même personne.

Et bien, c’est la même chose avec l’IA en ce moment : on reconnaît à des kilomètres les images générées par Dall-E, Midjourney et consorts, avec leurs erreurs de syntaxe et leurs style mi-3D, mi-pinceau, mi-raisin. Pourtant, il y a des usages incroyables qui ont émergé, émergent aujourd’hui, et qui émergeront dans les années à venir, grâce à l’IA.

Si vous aimez l’electro – moi, oui – je vous recommande les clips de l’artiste français Romulus, notamment Tragédie Enfantine, dont les effets sont des enchaînements psychédéliques d’images IA, qui auraient été hors de prix et de portée sans l’aide de cette technologie. Ses clips sont générés par l’IA ; sa musique, non. Comment protéger la créativité humaine dans un monde dans lequel chacun peut créer, composer, recomposer, construire, éditer, publier, distribuer et redistribuer grâce aux outils IA ?

Faut-il s’en inquiéter ou s’en réjouir ?

Il y a 18 mois, une œuvre digitale intitulé Théâtre d’Opéra Spatial, créée par une IA (Midjourney) a remporté le prix de la plus belle œuvre d’art numérique à la Colorado State Fair. Ce “tableau”, proposé par un concepteur de jeux vidéo de 39 ans, Jason Allen, lui a remporté le premier prix et les 750 $. Mais pas de “copyright” ! Le US Copyright Office a jugé qu’il ne l’avait pas créé, lui rétorque que si. Le match dure encore.

La question se pose : qui a “créé” l’oeuvre ? Jason Allen, qui a passé – selon lui – des centaines d’heures à prompter pour aboutir au résultat qui lui a valu le premier prix ? Midjourney, qui a créé une nouvelle oeuvre à chaque itération de l’artiste ? Ou les centaines de milliers d’images réelles “pillées” sur internet par Midjourney, sans consentement ni avis ? Que diraient les conversations de comptoir ?

Que diraient les Bistro Techos ?

Probablement qu’aux US – pays de la dérégulation et du capitalisme – tout irait au créateur malgré le pillage des données par l’outil et leur usage par l’artiste, qui raflerait la mise ad vitam aeternam pour rouler en Porsche à Miami ?

Et qu’en Europe – continent de la réglementation excessive et de l’exception culturelle française – il aurait été impossible de créer cette oeuvre, puisque l’outil n’existerait pas, et qu’il serait impossible à l’artiste de la protéger ?

Et qu’en Chine – d’ailleurs – où la notion de propriété privée n’existe même pas, où c’est le far west de la copie, l’auteur pourrait aller se brosser ?

Je caricature, bien sûr. Et bien c’est tout l’inverse !

Aux US, les premières décisions vont dans le sens du refus le copyright aux oeuvres générées par l’IA ; en Chine, elles accordent un droit d’auteur ; pendant qu’en Europe, on entraîne les modèles sans problème, et sans faire gaffe au droit d’auteur ! Depuis 2019, la “Text and Data Mining Exception” de la loi européenne sur le copyright autorise les modèles d’IA de s’entraîner sur des données protégées par des droits d’auteur, sans rémunération ni réserve. Les ayants-droits ont le droit de opt-out, mais sans ce refus explicite, les modèles peuvent se servir allègrement. Et tout le monde doit être d’accord !

Tous ? Nooooon. Un village d’irrésistibles Bretons résiste. De Grands-Bretons, même. Au Royaume-Uni – qui n’est pas soumis à la fameuse “Exception” suite au Brexit – le gouvernement propose actuellement un principe très similaire pour faciliter l’utilisation d’œuvres artistiques pour l’entraînement des IAs dans l’objectif d’attirer les géants du secteur. Cette réforme a suscité une vive opposition de la part des musiciens, écrivains et journalistes, dont Dua Lipa, Elton John, Jamiroquai et The Clash qui se mobilisent pour dénoncer une menace pour la création et l’économie culturelle britannique.

Sommes-nous, en Europe, plus “sages” que nos amis anglo-saxons ? Les artistes ont-ils confiance dans un système qui a mis en place RGPD, CSRD et autres réglementations visant à protéger nos intérêts ? Ou est-ce que tout ça va nous exploser à la gueule puisque – c’est bien connu – nous avons toujours un peu de retard sur eux ?

Je ne sais pas. Je vous le demande.

En tout cas, on débat encore et toujours. Ici, France Digitale propose une rémunération au forfait des créateurs de contenus, en échange de quoi les concepteurs des IA pourraient puiser librement dans les données accessibles en ligne, sans possibilité pour les créateurs de s’y soustraire. La Sacem, pour l’instant, en veut plus.

Quoi qu’il en soit, je voudrais conclure en disant qu’en Europe, qu’on aime bien basher pour sa tendance à réguler à tort et à travers, on a aussi d’excellentes raisons d’espérer construire des champions de l’IA tout en faisant vivre des industries créatives.

Si vous voulez approfondir le sujet, je vous proposer l’excellent podcast Comptoir IA sur le sujet.

A bientôt sur ce blog, ou sur Bistro Tech, mardi prochain !

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