Depuis le retrait de l’entreprise CSC, ancien sponsor titre de l’équipe dirigée par Bjarne Riis (via sa société Riis Cycling), la société Saxo Bank s’est installée dans les pelotons en “reprenant” un collectif considéré par beaucoup comme la meilleurs équipe du monde. Pour les sponsors d’équipe, le Tour de France (plus grand spectacle sportif gratuit au monde) est souvent au centre d’une stratégie marketing soigneusement préparée, idéalement intégrée dans un plan de communication plus large (Walliser, 2006). Le succès sportif ayant été au rendez-vous cette année, penchons-nous sur la stratégie de la marque Saxo Bank, qui était déjà co-sponsor (Team CSC-Saxo Bank) lors de l’édition 2008 , année de l’entrée de la banque sur le marché français.
Saxo Bank est une banque d’investissement d’origine danoise aujourd’hui basée en Suisse. La société est aujourd’hui l’unique sponsor nominatif de l’équipe Pro Tour Team Saxo Bank, contrairement à ce qui avait été annoncé par Bjarne Riis en septembre 2008. En effet, l’entreprise IT Factory s’était engagée aux auprès de Riis Cycling, mais la société de services informatiques a été mise en liquidation judiciaire deux mois plus tard, son patron disparaissant du côté de Dubaï… Cela fait donc maintenant plus d’un an que la marque Saxo est présente dans les médias de masse via son investissement dans le sport, ce qui la rend visible au grand public.
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Comme la voile, la spécificité du cyclisme réside dans le naming du collectif sponsorisé. Ainsi, l’équipe ne porte pas le nom d’un territoire (ville, pays) mais celui de l’entreprise qui la sponsorise. Celle-ci peut être de la même nationalité que la société qui gère l’équipe (comme Riis Cycling et Saxo Bank, sociétés danoises) mais aussi d’une nationalité différente. Citons la société espagnole Abarca Sports qui gère l’équipe Caisse d’Epargne, dont l’effectif est majoritairement composé de coureurs espagnols. Ce naming fait donc du cyclisme un sport très attractif dans le sens où il permet une très bonne mémorisation du nom, donc de la marque. Selon Frédéric Bolotny, économiste spécialisé dans le sport, le cyclisme “représente un des sports qui assure le meilleur retour sur investissement au sponsor“. Un exemple : pour AG2R, sponsor nominatif de l’équipe cycliste du même nom, les retombées médiatiques du premier semestre 2008 représentaient 47 millions d’€ d’équivalent publicitaire, pour un budget d’équipe s’élevant à environ 7 millions d’€. Avec un coût de 0,00257 € par contact, l’efficacité économique est indéniable.
L’entreprise Saxo Bank avoue d’ailleurs ne pas avoir de lien affectif particulier avec le cyclisme, c’est bien l’efficacité de la communication a convaincu les décisionnaires. Selon Lars Christensen, co-président de la banque, “l’élément moteur de notre collaboration avec l’équipe Riis Cycling, c’est que notre profil est raisonnablement assez proche de celui d’une équipe professionnelle : à la fois international et local“. Quant il parle de local, le manager évoque notamment les 15 nationalités représentées dans l’effectif. Des stars comme Jens Voigt (Allemagne), Alexander Kolobnev (Russie), Fabian Cancellara (Suisse) ou les frères Schleck (Luxembourg) permettent de cibler des publics différents (qui a parlé de paradis fiscaux?). Les sommes investies sont variables, mais l’on peut dire que pour 6 à 8 millions d’€ annuels, une entreprise peut devenir sponsor titre d’une équipe de bon niveau. A titre de comparaison : comptez 30 à 40 millions d’€ par an pour être partenaire de rang 1 d’une écurie de Formule 1, sport le plus onéreux qui soit en terme de marketing sportif.
La banque Saxo Bank assure une grosse partie du budget annuel de l’équipe (28 coureurs) de 7 millions d’€. Les risques du sponsoring sont divers, mais les spécialistes sont d’accord pour affirmer qu’il est plus sûr de sponsoriser un collectif que des individus (Tribou et Augé, 2009). Le cyclisme présente cependant un risque considérable aux yeux des entreprises : les affaires de dopage. On peut bien sûr affirmer (comme Frédéric Bolotny dans une interview donnée au magazine Capital.fr) qu’une affaire de dopage augmente la notoriété de la marque, mais il est évident que celle-ci n’est pas positive. Ce risque fait partie de l’incertitude inhérente au sponsoring sportif. Pour réduire ce risque, la Saxo Bank investit 200 000 à 300 000 € annuels dans un programme interne de lutte contre le dopage, en plus du coût que représente le passeport biologique instauré par l’Union Cycliste Internationale.
Mais la stratégie marketing de la Saxo Bank ne cible pas seulement le grand public et les professionnels de la finance. L’entreprise utilise cet engagement comme moyen de motiver ses salariés, en les fédérant autour des valeurs de performance et d’excellence, mais aussi et surtout en les faisant venir sur le Tour. Comme l’explique Pierre-Antoine Dusoulier, patron de Saxo Banque France, la société a proposé à ses 25 salariés parisiens de passer le week-end à Verbier (Suisse, ville étape du Tour 2009) et de participer à l’entraînement des coureurs. Le meilleur commercial du mois de mai a été invité VIP au Grand Départ de Monaco. Les trois meilleurs commerciaux du mois de juin ont été invités sur l’étape d’Annecy. Un des vélos du contre-la-montre d’Annecy a été offert à un heureux élu de la société… Les incentives n’ont pas manqué !
Il faut dire qu’elles sont nécéssaires. Comme le dit Lars Christensen, “ce n’est pas un coureur d’une équipe grimper sur un podium, qu’on va ouvrir un compte chez Saxo Bank“. Il s’agit bien d’améliorer la notoriété de la marque (objectif cognitif) et d’instaurer un lien particulier avec le consommateur (objectif affectif), mais les attentes ne sont pas commerciales (objectif connatif : provoquer l’achat). Etant donné que la moitié des revenus de la banque proviennent de partenariats avec des banques tierces (trading via Saxo Trader), la communication ne cible pas exclusivement les particuliers. Le jour du Grand Départ monégasque, où Cancellara a pris le mailot jaune, la banque a lancé un site internet présentant l’équipe, qui sera alimenté par du contenu éditorial et multimédia pendant toute la durée de la compétition. L’onglet “Offers” s’adresse visiblement aux professionnels puisqu’il présente l’offre professionelle de Saxo Bank.
Selon Laurits Fischer-Hansen, responsable des parrainages et partenariats, “le Tour de France coïncide avec une forte augmentation de la présence de la marque dans les médias“. D’habitude, l’été marque une période creuse pour les banques. Le calendrier cycliste permet donc à Saxo Bank d’être (très) visible pendant cette période. Après la première apparition de la marque bleue-et-blanche lors de l’édition 2008 (victoire de l’espagnol Carlos Sastre), son taux de notoriété suggérée a bondi de 50%. Au sponsoring de visibilité de l’année dernière s’ajoute, cette année, une composante interne de motivation des salariés.
Alors ? Le Tour a-t-il dopé les résultats de la banque Saxo ? Lars Christensen explique que l’institution améliore sa situation concurrentielle, puisqu’elle effectue exclusivement des opérations d’investissement et de négoce, contrairement aux banques transactionnelles qui tirent une partie de leurs revenus des prêts qu’ils accordent. Il avoue cependant que “les premiers mois de 2009 ont été relativement peu actifs en terme de trading en raison de la prudence des investisseurs“. Le rapport semestriel de la banque annonce un recul des bénéfices (7 millions d’€, contre 21 millions d’€ en 2008), qui s’expliquent en partie par une augmentation des coûts d’exploitation (= ouverture de nouveaux bureaux à l’international). Forte du gain de notoriété apporté par son sponsoring, Saxo Bank investit pour renforcer sa présence internationale. Cette stratégie d’expansion internationale a fait ses preuves : l’entreprise belge QuickStep a significativement accru son ouverture internationale depuis ses débuts dans le cyclisme en 2003.