Ce billet est une traduction d’un article passionnant que je viens de lire: Is This the World’s Most Creative Manufacturer? écrit par Josh Dean pour Inc. “Comment la société de design Quirky utilise la puissance de la communauté pour développer, fabriquer et vendre une foule d’objets utiles” (“How the renegade design company Quirky uses the power of community to develop, make, and sell a torrent of useful objects.”), dit le sous-titre. Cet article n’est pas seulement un descriptif avec des schémas et des citations de communiqué de presse, c’est un article bien recherché et très complet sur cette entreprise qui vient de se lancer en France.
Voici donc la traduction française, j’ai juste adapté la mise en forme, ajouté quelques liens pour faciliter la compréhension, et coupé quelques passages car l’article original est très long? Donc voici quelques passages. Bonne lecture!
Imaginons que vous avez une idée pour réinventer le sèche-cheveux . Vous êtes assez excité pour esquisser ce concept génial et même – si vous avez le sens de l’ingénierie – pour décrire son fonctionnement dans un niveau de détail qui révèle le génie de l’idée. Que faites-vous ensuite? Vois appelez Conair ? Vous faxez vos schémas à Revlon? Peut-être que vous voulez faire un prototype. Mais êtes-vous compétent en électronique? Possédez-vous une imprimante 3D? Et disons que vous l’ayez fait – que faire après? Voulez-vous externaliser la production? Quel est le plan de marketing? Quels contacts avez-vous dans la distribution?
Je m’arrête là, parce que vous voyez où je veux en venir. C’est la raison pour laquelle la plupart des idées restent piégés dans des cerveaux. C’est pourquoi le monde a besoin de Quirky. Chez Quirky, la mission est simple : de découvrir ces idées et de les fabriquer. Fabriquer beaucoup de produits. Et rapidement.
Chaque semaine, l’entreprise basée à New York reçoit plus de 2 000 idées d’invention de sa communauté de quelque 500 000 utilisateurs (en croissance), en approuve trois ou quatre à développer, et distribue en moyenne trois produits entièrement nouveaux à sa liste croissante de partenaires de distribution, dont des magasins comme Target, Bed Bath & Beyond, et Best Buy ; des e-commerçants comme Amazon et Fab ; et la chaîne câblée de vente par correspondance QVC. Vous pouvez même acheter directement sur le site e-commerce de Quirky ou via son application, et bientôt vous pourrez aller dans des magasins Quirky.
C’est à ça que ressemble le crowdsourcing quand ça fonctionne vraiment
Cela fonctionne parce qu’au lieu de demander de l’argent ou du travail, Quirky demande aux gens de partager leurs rêves et leur propose de réelles incitations à participer. Il s’avère que les gens ne veulent pas seulement créer des applications, ils veulent créer des objets, et en reconnaissant cela, Ben Kaufman a bâti une entreprise de 50 millions de dollars, a attiré 97 millions de dollars en investissements, et a établi un partenariat avec un géant de l’industrie américaine. Pour ces raisons et pour d’autres, Quirky pourrait compter parmi les moteurs d’innovation les plus importants dans le monde des affaires aujourd’hui.
Le moment clé dans le processus Quirky a lieu tous les jeudis soir, dans la grande pièce principale du siège social à l’intérieur d’un ancien entrepôt de stockage à l’extrême ouest de Manhattan. Là, plus de 150 employés de Quirky et quelques invités se rassemblent pour le Eval, un débat théâtral sur les meilleures soumissions de la semaine, diffusée en direct sur Internet.
Le PDG de Quirky, Ben Kaufman, est à la fois hôte et présentateur. Corpulent, brun, 26 ans, Kaufman chauffe la salle et présente les panelistes de la soirée, avant de se taire et de regarder le compte à rebours atteindre 19 heures, moment où les caméras commencent à retransmettre le direct. «Mesdames et Messieurs», Kaufman exulte, «bienvenue à l’évaluation des produits !»
Pour un gars qui n’a pas étudié le théâtre et n’a pas fait la fac, Kaufman est un excellent orateur et homme de spectacle, un évangélisateur naturel, passionné, désinvolte, et doté d’un excellent timing. N’est pas artiste qui veut, mais il ne fait pas le show juste pour le divertissement, c’est bel et bien calculé. «L’invention est quelque chose d’effrayant» dit-il. «Vous entendez le mot, et ça semble tout de suite compliqué, vous pensez aux blouses de laboratoire». La retransmission des évaluations est censée casser cette image, de faire penser tout inventeur potentiel qui regarde “Je pourrais le faire. Je suis comme lui”».
Faisons-le (Ben Kaufman, fondateur et PDG de Quirky)
L’ archétype de l’inventeur pourrait être Jake Zien. C’est l’inventeur du Pivot Power, une multiprise intelligente qui se vend à 30 dollars et est une des meilleures ventes de Quirky, et de loin, puisque l’entreprise en a vendu 665 000 unités. Récemment, Kaufman a dit aux gens que Zien, âgé de 24 and aujourd’hui, sera bientôt le premier millionnaire de Quirky. Kaufman affirme que Zien devraient gagner 1 million de dollars en royalties en 2013, et même au-delà, puisque le produit va évoluer et il y aura une gamme entière de Pivot Power. Il y a un Pivot Power mini, une version robuste, et différentes versions pour les standards électriques étrangers.
L’idée est venue à Zien au lycée, alors qu’il était inscrit à un programme à la Rhode Island School of Design. Le concept, dit-il, était d’avoir «une bande flexible qui pourrait pivoter pour accueillir de grandes prises dans chaque point d’attache». Zien était un fan de technologies et avait passé trop de temps sous son bureau à bidouiller avec les prises. Il voulait toutes les faire rentrer dans la multiprise, mais comment?
L’idée lui trottait dans la tête la nuit. Zien a soumis l’idée au concours NASA Create The Future et a reçu une mention honorable. Sa récompense était un T-shirt. Un ami de la famille qui était avocat de propriété intellectuelle, l’a encouragé à déposer un brevet – ce qu’il n’a pas fait – puis lui a dit qu’il n’avait qu’une seule option : proposer l’idée à Belkin ou à GE et dire: «Hey, j’ai 18 ans et j’ai une idée. S’il vous plaît ne m’arnaquez pas». Le meilleur scénario était un rachat de la propriété intellectuelle pour, peut-être un jour, voir son produit sur une étagère et en tirer une certaine satisfaction. Zien n’a rien fait.
Ensuite, cet ami de la famille a lu un article sur Quirky dans le magazine d’une compagnie aérienne. Il a appelé Zien et a dit: «Voici une société qui prétend avoir exactement ce dont tu as besoin». Aujourd’hui, affirme Zien, «ils ont complètement tenu leurs promesses».
Zien rejoint la communauté Quirky quand il étant dans ses premières années de fac, a soumis son idée et, une semaine plus tard, a été sélectionné. En un an, le produit était en vente chez Bed Bath & Beyond. Zien ne connaissait rien en ingénierie électrique, il avait juste présenté des dessins très basiques. «C’était vraiment eux qui ont transformé l’idée», dit -il. «Ils ont compris comment le faire fonctionner». Aujourd’hui, grâce à de nombreux chèques avec beaucoup de zéros, c’est un jeune de 24 ans avec peu de soucis financiers.
Tout au long du processus, c’était très clair que tout ce que j’avais à faire était d’avoir l’idée, et la majorité du travail a été faite par Quirky. Je n’aurais jamais pu faire cela moi-même
En ce début de mardi d’été, Kaufman se prépare à faire une présentation à la Industrial Designers Society of America (IDSA), dans la pièce principale de Quirky, la même qui accueille les Évaluations hebdomadaires. Kaufman, comme toujours, est vêtu d’un T-shirt noir à manches courtes. Il en a au moins 100, venant de chez Banana Republic, et il les porte parce qu’il se déplace souvent et déteste faire ses valises. Et si jamais il oublie d’en emporter suffisamment ou su un séjour dure plus longtemps que prévu, il y aura toujours un Banana Republic à proximité. D’habitude, il complète sa tenue avec un jean et des baskets.
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Une diapositive représentant l’Empire State Building apparaît sur l’ écran derrière lui. «Est-ce que quelqu’un sait combien de temps il a fallu pour construire l’Empire State Building?» demande-t-il avec un petit rire en coin. «J’adore cette question. C’est une blague au bureau maintenant. Les personnes m’arrêtent et me demandent : “Ben, combien de temps a-t-il fallu pour construire l’Empire State Building ?». Il fait une pause, puis reprend avec insistance : «Il a fallu 410 jours pour construire l’Empire State Buildings».
Il passe à la diapositive suivante, représentant un éplucheur. «Savez-vous combien de temps il a fallu pour faire cet éplucheur de pommes de terre ?» Il s’arrête à nouveau pour dramatiser la situation. «Trois ans». Tout le monde rit. Lui, ne plaisante pas. L’entreprise qui a fabriqué ce produit ne pouvait pas se décider.
«Le monde pense que lorsque la vitesse de développement d’un produit s’allonge, la qualité augmente», Kaufman développe. «Ce n’est pas vrai. La pratique ne rend pas parfait, c’est la passion qui rend parfait». Il parle en toute confiance. Il déverse des slogans à destination du public, vous pourriez couper ses discours en petits morceaux et en faire 1 000 T-shirts ou un chapitre de manuel d’affaires. Ce n’est probablement qu’une question de temps jusqu’à ce que quelqu’un le fasse.
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«Est-ce que quelqu’un sait pourquoi nous avons mis la photo de Jake sur chaque boîte?» Il n’attend pas la réponse. «Storytelling! Je veux que tout le monde qui a cette boîte entre les mains sache que l’idée vient de quelqu’un comme eux. Si une idée est vraiment bonne, elle sera faite». En une phrase, c’est l’essentiel de Quirky : Enlever toutes les barrières possibles et imaginables se dressant entre un citoyen ordinaire avec une idée et le résultat, un produit entièrement développé qui peut être commercialisé et vendu aux consommateurs. «La seule chose qui importe est que les bonnes idées soient gagnantes» explique Kaufman, «Si une idée est bonne, elle sera distribuée».
Si l’idée de Quirky n’était que de puiser dans des esprits motivés pour avoir des idées qui répondent à des lacunes du marché, ce serait une entreprise intelligente. Mais Quirky fait quelque chose de bien plus grand et plus compliqué. Ces idées doivent devenir des produits, et c’est là que Quirky apporte vraiment du muscle.
Immédiatement après qu’un produit ait été sélectionné au “Eval” il passe aux phases de design et de conception, où les concepteurs et les ingénieurs Quirky utilisent de l’équipement de prototypage valant plusieurs millions de dollars pour réaliser et affiner ce que est arrivé sur leur bureau comme une idée à peine esquissée. Les avocats et les experts en propriété intellectuelle déposent des brevets et règlent les questions de réglementation et de conformité aux normes, tandis que le département de la production source les matériaux et décide quel(s) fournisseur(s) et quelle(s) usine(s) (la quasi-totalité d’entre-elles sont situées en Asie, produira le produit.
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Le revenu de Quirky est passé de 62 000 dollars en 2009, lorsque la société a commencé à East Village, dans l’appartement de Kaufman, avec trois employés dont l’un est maintenant sa femme (elle est directeur des ressources humaines), à 18 millions de dollars en 2012. Les ventes devraient tripler d’ici la fin de 2013, et atteindre 50 millions de dollars.
Kaufman affirme qu’aucun de ses produits n’a perdu de l’argent
Il vient de s’asseoir pour déjeuner en disant cela et, réalisant à quel point cette affirmation puisse paraître incroyable, il prend en main une salière. «Disons que cela m’a coûté 15 $», dit-il. «Pour mettre en route la ligne de production, je dois dépenser 10 000 dollars, donc je sais que j’ai besoin de vendre au moins 5 000 salières pour faire de l’argent. Je n’ai jamais vendu moins que ça. Si vous regardez chaque produit comme une petite entreprise, aucune n’a perdu de l’argent» Il sourit. «Mais je ne compte pas l’ensemble des infrastructures, la machine, la plateforme etc.»
En tant qu’entreprise Quirky perd de l’argent chaque jour. Nous sommes encore en train de perdre de l’argent là

Image via Inc.com
Ce printemps, les représentants d’une autre entreprise qui s’y connaît en invention a effectué une visite au siège de Quirky : General Electric (GE), mené par Linda Boff, directeur exécutif du global brand marketing. Boff a été frappé par la dévotion de Kaufman à creuser et à développer les idées perdues du monde entier.
Ce n’était pas la seule vision qui a convaincu vendu GE, après tout, beaucoup d’entrepreneurs ont de bonnes idées. Ce qui a impressionné Boff et l’équipe dirigeante de GE, jusqu’à l’équipe de direction de Jeffrey Immelt, c’est que Kaufman avait construit toute une infrastructure pour soutenir cela. «Il détermine tout du modèle au prix, en passant par le packaging, le marketing, les canaux de distribution», explique Boff. Il s’agit d’une entreprise qui a déjà fait des choses, et qui continue à le faire, tout le temps. «Ce qui nous a plu chez Quirky c’est leur engagement pours invention, leur vitesse de mise sur le marché, et le fait qu’ils ont cette incroyable communauté pour les aider à réfléchir aux problèmes quotidiens que nous avons tous».
Avec quelques discussions, les entreprises ont décidé un partenariat en deux temps, commençant cet été. La première partie a été le lancement d’une gamme co-brandée appelée Quirky + GE. En substance, Quirky invite sa communauté à inventer des produits pour la maison, compatibles avec des applications, dont les meilleurs seront sélectionnés et développés en collaboration avec GE. L’idée, dit Kaufman, est de créer tout un univers de produits – réveils, détecteurs de fumée, sonnettes, arroseurs etc – connectés et contrôlables par smartphone. Les premiers produits co-brandées, y compris une horloge de chevet qui apprend vos horaires et s’adapte en conséquence, apparaîtront d’ici la fin de l’année.
Mais il y avait autre chose Kaufman voulait de GE – l’accès à sa vaste bibliothèque de brevets. Non pas que des mecs de l’Ohio puissent réinventer les moteurs à réaction, mais pour que ces mecs puissent utiliser des plans de moteurs à réaction pour, peut-être, construire un meilleur ventilateur. Avec empressement surprenant, GE a dit OK. Les 1 000 premiers brevets sont prévus sur le site de Quirky d’ici l’automne, d’autres suivront.
Kaufman était tellement excité par l’idée qu’il a commencé à courtiser des bibliothèques de brevets de Harvard et du MIT
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Alors que le portefeuille de Quirky s’agrandit, d’autres défis se posent à la marque. La plupart des entreprises fabriquent soit des tonnes de choses à bas prix ou très peu de choses très chères. Kaufman veut qui Quirky joue sur les deux tableaux. «D’un point de vue branding, ça devient un peu compliquée», admet-il. «Nous avons des produits dans le magasin du MoMA et d’autres à Rite Aid. Je ne connais pas d’une autre marque au monde qui fasse cela».
La confiance de Kaufman peut virer à l’excès. Il a une manière d’essuyer les problèmes et de les remettre à plus tard, mais celui-ci vaut le coup d’être analysé en profondeur. Quirky a un côté Apple ou Porsche – une attention très poussée portée au du design et à l’emballage. Mais il y a aussi un autre aspect qui reflète une image pas cher et amusante (même si l’emballage est toujours cool).
L’identité de la marque est floue, et ce n’est pas vraiment ce que vous voulez quand vous essayez d’augmenter la notoriété de votre marque
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«C’est moi qui ai fait ça», c’est le principal facteur de motivation pour toute la communauté. «C’est une chose très simple et directe», dit Kaufman. «Mais si vous faites cela dans les phases de sélection d’idées et de naming, vous avez des données qui sont totalement intégrées. L’ aspect financier est très facile.» En d’autres termes, les gens qui pensent qu’ils ont fait quelque chose vont l’acheter, tout comme leurs pairs. Cela rend l’investissement dans le développement beaucoup moins risqué. «Nous avons autant de gens qui veulent acheter ce produit», dit-il. «Ça va coûter autant à faire, et j’ai une garantie de faire ce chiffre d’affaires. Qui ne va pas faire ça?»
Son sourire s’élargit lorsqu’il commence à évoquer le futur de Quirky. Après avoir relancé la plateforme (en ligne et sur mobile), avoir dévoilé une nouvelle identité de marque (avec un nouveau logo et une iconographie propre), il finalise ses plans pour ses trois premiers magasins, qu’il prévoit de mettre «au milieu de nulle part, genre Oklahoma City.» Le concept de Kaufman? L’histoire, bien sûr. «La raison pour laquelle vous allez lever votre cul, emporter votre enfant et aller au magasin, c’est de vivre une expérience, de découvrir des choses», dit -il.
Quirky, c’est la découverte ultime. Vous ne savez jamais ce qui va être là
Le construction de magasins est un pari risqué, une pari qui a fait couler d’autres entreprises ambitieuses, mais Kaufman est certain que ça marchera, parce qu’il agit au nom de 500 000 conseillers qui l’aident à orienter sa vision. «C’est là qu’on peut dire “OK , résolvez le problème du branding”. Je comprends. Mais nous allons le résoudre parce que nous devons être en mesure de le faire. A côté de cela, les données vont guider un grand nombre de produits. Nous avons le plus grand nombre de données de toutes les entreprises de développement de nouveaux produits au monde. Nous pouvons être l’entreprise de développement de nouveaux produits la plus prédictive au monde».
Liens utiles:
- Is This the World’s Most Creative Manufacturer? (Inc., Octobre 2013)
- La plateforme de co-création Quirky se lance en France (et en français) (ce blog, Septembre 2013)
- Can This Start-Up Become the French Quirky? (ce blog, Avril 2013)
- L’attaque maladroite de Quirky, pionnier de la co-création (ce blog, Janvier 2013)
- Les distributeurs français se mettraient-ils à la co-création? (ce blog, Février 2012)
- Quirky “reinvents the bicycle” in 24 hours (ce blog, Septembre 2011)