Eloge de la bicyclette, Marc Augé

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Image: FFCT.org

La première fois que j’entendais l’anthropologue Marc Augé parler de vélo, c’était dans un récent numéro de Psychologie Magazine. Dans un article sur les stratégies du quotidien, il dit que “le cyclisme est une manière de changer son rapport au temps et à l’espace“, que “derrière l’idée du cyclisme, il y a l’idée […] de la ville vivable” et que “c’est un instrument très pédagogique… et incontestablement ethnologique“. Marc Augé est en effet ethnologue et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) à Paris, où il réfléchit sur le monde contemporain et les relations sociales. Il a notamment décrit le concept de surmodernité et de non-lieux (qui a certainement inspiré George Ritzer pour son livre The Globalization of Nothing). Continue reading →

Que reste-t-il du rêve de l’internet ?

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Merci au blog collaboratif Nous Les Geeks de m’avoir donné la parole au sujet du dernier livre que j’ai lu : Rêveurs, marchands et pirates, Que reste-t-il du rêve de l’internet (Joël Faucilhon, éditions Le Passager Clandestin). Un livre court, engagé et éclairé sur les nouveaux business-models du web qui sont, selon l’auteur, en contradiction avec l’idéal fondateur d’internet. Voici le post entier.

“Consommer moins – consommer mieux”, débat entre J-M Pelt et Serge Papin, éd. Autrement

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Céline Rouden, responsable du service politique du journal La Croix, a réuni pour ce livre Serge Papin, président vendéen de la coopérative de commerçants Système U, et Jean-Marie Pelt, fondateur de l’Institut européen d’écologie. Sur une petite centaine de pages, les deux hommes aux points-de-vue a priori opposés débatent de la société, de la consommation et de l’avenir de notre modèle de société. “Ce livre d’entretiens tente d’esquisser les voies de ce qui pourrait être […] une société de l’après-consommation“, précise l’auteure dans l’introduction.

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Le marketing participatif, Ronan Divard, éd. Dunod

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Ce n’est pas la couleur (vert/rose) de la couverture qui m’a donné envie de lire ce livre, ni même les attaches (bretonnes) de son auteur, Ronan Divard, mais bien le sujet traité : le marketing participatif. Et comme le suggèrent les premiers mots de la 4ème de couverture “Grâce au web 2.0, […]“, il est beaucoup question d’internet comme l’outil qui a permis au marketing de devenir réellement participatif. Il y avait bien des tendances similaires avant que l’on parle de marketing participatif : la “servuction” dans les services (Eigler, Langeard, 1987) ou “l’autoproduction dirigée” dont IKEA est sans doute le meilleur exemple.

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La Mondialisation : Emergences et Fragmentations, Pierre-Noël Giraud, éd. Sciences Humaines

 

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Il y a quelques mois, un lecteur m’a conseillé ce livre de Pierre-Noël Giraud sur la mondialisation. Je vous avoue que j’en ai lu beaucoup, des livres sur la mondialisation, et que j’ai appréhendé de relire les mêmes constats, les mêmes exemples et les mêmes propositions… mais celui-là a effectivement le mérite d’être synthétique et clair. Les thèses du bouquin sont intéressantes : parmi elles, j’ai notamment retenu que l’avenir “[de l’Afrique] repose fondamentalement entre les mains de ses habitants” et que les systèmes politiques et économiques actuel doivent être réformé s’il nous voulons un développement durable. Une croissance durable, je veux dire. Continue reading →

Petite philosophie du design, Vilém Flusser, éd. Circé

Alors que je tuais le temps entre deux rendez-vous à Paris dernièrement, je n’ai pas pu m’empêcher à entrer dans la librairie Vrin, qui rassemble une quantité impressionnante de livres sur divers sujets philosophiques. Dans le rayon dédié à l’art et à l’esthétique, je suis tombé sur la Petite philosophie du design du philosophe tchèque Vilém Flusser et je n’ai pas pu m’empêcher de l’emmener. Celui qui a aussi écrit Pour une philosophie de la photographie en 1983 défend la thèse que notre avenir sera affaire de design.

Né à Prague en 1920, l’auteur émigre de son pays natal en 1940 et s’établit à Sao Paolo, où il enseigne notamment la philosophie des sciences puis devient, en 1963, professeur de philosophie de la communication et des médias (à ce sujet, je vous conseille également le livre de Dominique Wolton). Il a passé la fin de sa vie entre la France et l’Allemagne (le texte de l’essai a été traduit de l’allemand) et décède dans un accident de voiture alors qu’il se rendait à une conférence à Prague en 1991. Ses textes sont courts et très simples à lire, comme ce livre qui comprend seulement 85 pages de texte. Mais quel régal.

Après un bref rappel étymologique des origines du mot design (signum, le signe), l’auteur entame sa réflexion en affirmant que le mot design a “investi la brèche et a jeté un pontentre le domaine de la science et celui de l’art, deux domaines qui ont été radicalement opposés par la bourgeoisie moderne. A la fin de son essai, Flusser affirme aussi que cette distinction avait autrefois un sens, mais que ce n’est plus le cas aujourd’hui : les formes sont aujourd’hui des “modèles”, et non plus des “découvertes” (formes vraies) ou des “fictions” (formes fausses) comme à l’époque de la révolution industrielle. Nous vivons dans une économie de la connaissance, et les formes -ou l’apparence de la matière- ont un contenu informationnel qui guide l’utilisation.

Comme l’a aussi abordé Christian Guellerin lors d’un cours donné à l’ESSCA récemment, Flusser se demande si l’industrie de design renferme une éthique, et cette question se trouve être particulièrement pertinente aujourd’hui. Les conflits comme WWII ou la guerre en Irak (celle de 90-91) lui permettent de poser quelques questions : qui du “complexe post-industriel pilote/hélicoptère” est responsable de la mort de civils ayant péri dans le raid aérien ? Les ingénieurs ? Les designers ? Le pilote ? On peut aussi se demander dans quel sens va la relation d’influence dans l’interaction homme/machine… Bref, le fait même de poser ce type de questions “nous permet pourtant d’espérer“.

“Les gens devraient enfin apprendre à calculer”

On peut terminer ce petit billet par l’apologie de la science faite par M. Flusser et qui m’a presque fait regretter de n’avoir que fait le minimum en cours de physique et de mathématique : je ne peux donc pas “partager l’expérience de la beauté et de la profondeur philosophique de quelques équations particulièrement remarquables (par exemple celles d’Einstein)“. En même temps, la magie du numérique nous permet maintenant de transcoder les nombres en couleurs, de les voir, de les entendre : ils sont perceptibles par les sens. Me viennent alors à l’esprit deux exemples de ce type de démarche de design “mathématique” : l’art fractal et l’entreprise Nervous System, fondée par deux étudiants d’Harvard et du MIT.

Un collier Nervous System (©Fast Company)

Je ne peux m’empêcher de cite un dernier extrait, particulièrement adapté à la société actuelle à mon sens : “Exactement comme l’homme primitif qui intervenait dans la nature directement grâce à ses mains et donc fabriquait partout et tout le temps, les fonctionnaires de l’avenir, munis d’appareils petits, minuscules ou même invisibles, seront partout et toujours des fabricants“.

La Dimension Design, par Christopher Lorenz

La Dimension Design (C. Lorenz)

Dans son livre “La Dimension Design, Un Atout Concurrentiel Décisif”, il défend la place du design dans l’entreprise en tant que moteur de l’innovation et prend exemple d’entreprises dont la politique d’intégration du design industriel dans la démarche de création des produits est selon lui un facteur important de leur succès économique : Olivetti, John Deere, Sony, Ford, Philips et Baker Perkins. A la fin de l’ouvrage, il dresse un bref portrait du designer Kenneth Grange, consultant en design ayant créé sa propre agence, Pentagram.

Dans un article paru dans le premier numéro de Décisions Marketing (1994), Bernard Cova reprend les trois fonctions majeures de l’entreprise impliquées dans la création industrielle : la R&D, le marketing et le design, ce dernier ayant le rôle de “traducteur socio-technique”, à la convergence des tendances sociétales, des besoins et des attentes de l’utilisateur. Le design a effectivement un rôle d’agrégation, et Christopher Lorenz défend le “potentiel commercial du design industriel“. Selon lui, cette fonction de l’entreprise doit être mise sur un pied d’égalité avec les deux autres fonctions citées ci-dessus. Ainsi, selon lui, “l’esprit de synthèse et d’entreprise du designer industriel doivent avoir autant de poids que les compétences de l’ingénieur, du contrôleur financier ou du spécialiste du marketing“.

En parlant de marketing, il est intéressant d’observer que l’auteur défend l’importance d’une fonction peu courante dans les années 80, mais quasi-institutionnelle aujourd’hui : celle de chef de produit. Selon lui, son rôle de pivot entre les différentes fonctions de la société et sa connaissance du marché et du produit font d’un chef de produit un acteur privilégié dans les processus de conception et d’innovation. De plus, un fait amusant est relaté lorsqu’il fait allusion à la trop grande importance accordée aux études de marché, qui sont des aides à la décision et non pas des plans d’action à suivre aveuglément. Il évoque effectivement que dans une étude commandée par General Electric en 1960, le rapport conclut que “la portabilité n’était pas une priorité pour les consommateurs“. La société abandonna alors d’investir davantage dans les téléviseurs portables monochromes. Sony présenta un modèle deux semaines plus tard, modèle vendu à 250 $ qui “connut un tel succès que d’autres fabricants japonais s’empressèrent de développer leur propre version“. Et la portabilité, aujourd’hui, on sait quelle importance elle a aux yeux des consommateurs…

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Le modèle Sony 8-301W, premier téléviseur de Sony (© tvhistory.tv)

La deuxième partie du livre est consacrée aux exemples d’entreprises qui, selon Christopher Lorenz, ont tiré un avantage compétitif important grâce à leur investissement dans le design (dont Sony). Souvent, trois facteurs apparaissent lorsqu’on regarde les raisons qui poussent une entreprise à investir dans une stratégie intégrant le design : l’échec de la stratégie “marketing” (nous avons vu que cette stratégie peut être mal menée), la nécessité de stimuler le développement de nouveaux produits et/ou l’arrivée d’une personnalité forte au sein de l’entreprise, souvent le directeur, qui accorde une place importante au design industriel dans l’innovation. Prenons l’exemple de Ford qui, dans le chapitre “Briser le carcan“, est prise en exemple.

L’exemple de Ford

Comme beaucoup de constructeur de Detroit, Ford a souffert de l’arrivée de modèles japonais, et le design y est peut-être pour quelque chose : formes aérodynamiques mais extravagantes, plaintes chromées… des “sculptures animées“. En commençant dans les années 70 en Europe, Ford redéfinit les priorités : qualité, aérodynamisme, confort et sécurité. La Ford Escort est lancée en Europe en 1980 et “connut un succès retentissant sur pratiquement tous les marchés européens“. Fort de ce succès, Uwe Bahnsen, alors directeur adjoint au design, a acquis une certaine crédibilité auprès des responsables de la planification et des ingénieurs.

Pub - Ford Sierra - 1987 (Large)

La Ford Sierra, bien accueillie en Allemagne, déçut en Grande-Bretagne (© http://fabvt.blogspot.com)

Pour diverses raisons, Ford n’a pas utilisé la Sierra mais l’Escort pour servir de modèle dans le développement de deux modèles à destination du marché américain : Tempo et Topaz. Suivies par la Ford Taunus ou la Sable, ces modèles ont contribué à la révolution-design chez Ford. Le magazine Fortune écrivait en décembre 1985 que “la renaissance de Ford US est due en premier lieu à la toute nouvelle sobriété de son design“. En interne, cette renaissance était appliquée par l’élévation du design au même rang que d’autres fonctions comme l’ingénierie. Ce qui était auparavant vu comme du “styling” était alors apprécié à sa juste valeur : esthétique fonctionnelle, études de faisabilité, évaluation des projets etc.

Cet ouvrage de référence, publié en 1986 pose les bases du design management, c’est à dire l’intégration du design dans la démarche d’innovation et de développement au même niveau que la R&D et le marketing, et non pas à la fin du processus, limitant son rôle au simple “habillage”. Il conviendra maintenant de se pencher sur de la lecture plus récente puisque les entreprises “exemplaires” dans les années 80 ne sont plus les leaders d’aujourd’hui (Sony, Ford, Olivetti).